La carte postale

de Anne Berest, publié en 2018

présenté par Françoise Hurtaud

 

Une carte postale arrive dans la boite aux lettres de Leila la mère de l’autrice au moment des fêtes de fin d’année 2003. Elle comporte quatre prénoms Ephraïm Emma Noëmie Jacques, l’écriture est hachée et la carte n’est pas signée. Au dos la photo du Palais Garnier, qui n’est pas récente, y est représentée. Sa mère reconnaît les prénoms de son grand-père de sa grand-mère de son oncle et de sa tante tous les quatre disparus dans le camp de concentration d’Auschwitz en 1942.

Qui a envoyé cette carte? L’histoire de la famille de l’autrice remonte à la surface. Cela commence en Russie en 1919, Ephraïm Rabinovitch de confession juive mais non pratiquant, sentant sa sécurité compromise du fait de ses opinions politiques quitte son pays avec Emma son épouse et leur bébé Myriam pour s’installer en Lituanie où il prospère dans le commerce du caviar . Noémie naît à cette époque et Emma donne des cours de piano, tout irai pour le mieux si des gens mal intentionnés et jaloux mettent à mal son entreprise, ruiné Ephraïm et sa famille décide de rejoindre ses parents installés depuis peu en Palestine, ils s’arrêtent sur le trajet voir la famille d’Emma en Pologne où le climat entre polonais et juifs devient mauvais, des inscriptions anti-juives apparaissent sur les murs. Ephraïm et sa famille arrivent en Palestine où ils vont y rester cinq années à aider son père dans l’exploitation agricole qui ne rapporte pas grand chose. Jacques va naître dans ce pays où Ephraïm ne voit pas d’espoir de carrière et décide à nouveau de partir. Et c‘est en France, à Paris qu’il espère y faire fortune en présentant un brevet d’une invention dans le domaine de la boulangerie. C’est en 1929 que toute la famille se retrouve à Paris , Myriam et Noémie et plus tard Jacques font leur rentrée scolaire à l’école Fénelon après avoir appris le français ,ils passent avec succès les années de classe en étant en tête dans les matières principales.

1933 arrive et Ephraïm attend toujours d’être naturalisé Français, en Allemagne le parti nazi prend le pouvoir et beaucoup de juifs allemands arrivent en France, en 1940 la France devient allemande et Pétain promulgue des lois anti-juives. La famille d’Ephraïm toujours pas naturalisée part dans la campagne près de Paris .Myriam rencontre Vicente le fils du peintre Francis Picabia et Gabrielle Buffet, elle l’épouse en 1941.En 1942, des policiers viennent au domicile des Rabinovitch et, sous le prétexte d’aller travailler en Allemagne, emmènent Noémie et Jacques. Myriam présente ce soir là assiste impuissante au départ de sa sœur et de son frère, à la demande de son père qui lui demande de se cacher elle rejoint son mari à Paris. Noémie et Jacques vont connaître le camp de Pithivier un prélude à l’horreur avant d’être transféré à Auchwitz et d’y mourir.Quelques mois plus tard, Ephraïm et Emma sont emmenés à Drancy d’où ils partent à Auchwitz pour y être gazés dès leur arrivée.

La deuxième partie du livre nous replonge dans le mystère de cette carte postale arrivée 60 ans plus tard. Clara, la fille de Anne Berest, est interpellée par un de ses camarades lui disant que dans sa famille, on n’aime pas les juifs .La petite s’en confie à sa grand-mère Lelia et lui demande : »c’est quoi un juif ? » Anne et sa mère vont reprendre leur recherche interroger les derniers survivants qui connaissaient Myriam la mère de Lélia, refaire son parcours depuis 1942 avec la résistance dans le sud de la France ,la recherche de sa famille à l’hôtel Lutécia à Paris et son engagement dans l’armée comme traductrice (elle parle 6 langues)à la fin de la guerre.

Myriam, maman de Lélia, après la mort de Vicente refait sa vie et s’installe dans le sud de la France, elle ne parlera pas de son parcours ni de ses origines juives à sa fille et ses petites filles. Elle cherchera à oublier. Anne, après avoir reconstitué un siècle de la vie de sa famille et découvert qui se cachait derrière cette carte postale, se reconnaît enfin, elle est fille et petite fille de survivants et va pouvoir s’interroger sur la question d’être juif dans une vie laïque.

Ce livre est un bouleversant témoignage d’un siècle d’histoire où sont traités les sujets graves que sont les migrations le racisme et l’antisémitisme et un bel hommage à ceux qui ont donné leur vie à la résistance.

 

                                                                                  

Françoise Hurtaud